De l’aide alimentaire au droit à l’alimentation : Vers la normalisation d’un système d’urgence ?

11 avril, 2023

Le 31 mars 2023, à l’occasion du festival Histoire et Cité sur le thème “Nourrir le Monde”, une table ronde a été organisée sur l’aide alimentaire et le droit à l’alimentation à Genève. Un sujet très important et d’actualité puisque le 18 juin prochain, les genevois·e·s seront appelé·e·s à voter pour inscrire le droit à l’alimentation dans la constitution du canton. 

En 2020 en Suisse, 700 000 personnes vivaient sous le seuil de pauvreté. Selon les chiffres de la Fondation Partage à Genève, c’est 13 000 cabas qui sont distribués chaque semaine aux bénéficiaires sur le canton de Genève. Ces chiffres ne reflètent cependant pas le nombre réel de personnes qui nécessitent une aide alimentaire car les données ne sont pas claires et un grand nombre de personnes qui pourraient bénéficier d’une aide ne la demandent pas. Thierry Apothéloz, conseiller d’état au département de la cohésion sociale, appelle à la nécessité d’un regard plus précis pour une action plus précise. 

Laurence Ossipow, anthropologue et spécialiste de l’alimentation et du travail social, explique que l’aide alimentaire ne date pas d’hier. Au début du Moyen-Âge, la donation de nourriture aux plus démuni·e·s était considérée comme un acte de charité valorisé. C’est seulement vers la fin du Moyen-Âge qu’une distinction a commencé à apparaître entre les “bons” et les “mauvais” pauvres (invalides versus valides), stigmatisant certaines populations. Cette distinction existe encore aujourd’hui, avec des critères sociétaux ayant cependant évolué (personnes racisées, issues de l’immigration, etc.). Par exemple, une mère élevant seule ses enfants est considérée comme une personne ‘digne’ de demander une aide alimentaire. 

Mais qu’est-ce que l’aide alimentaire ? 

C’est une aide qui peut être distributive, en nature ou monétaire et qui peut être allouée par des associations ou par des entités publiques. Les définitions de l’aide alimentaire sont vastes mais l’objectif est simple: permettre à des personnes précaires de bénéficier d’un accès à des denrées alimentaires. 

Cependant, la stigmatisation des personnes précarisées a largement favorisé l’aide alimentaire sous forme de don en nature plutôt que sous forme monétaire. Par exemple, un des stéréotypes les plus courants sous-entend que si l’on donne de l’argent à une personne ou une famille dans le besoin, l’argent ne sera pas utilisé pour des besoins de première nécessité. On assiste donc à une dépossession du libre arbitre des personnes précarisées. 

Pourquoi parler de droit à l’alimentation et en quoi cela diffère de l’aide alimentaire ? 

Avec une approche fondée sur les droits, l’accès à l’alimentation est entre les mains des personnes concernées, explique Magali Ramel, spécialiste du droit à l’alimentation. Le droit à l’alimentation traduit une obligation de lutter contre les causes structurelles d’inégalité d’accès.

Aujourd’hui, deux citoyennetés existent en parallèle sur le marché de la faim : celle qui a le choix et celle qui n’a pas le choix. L’aide alimentaire telle qu’elle existe actuellement à Genève (Fondation Partage, colis du cœur, épiceries communales gratuites, etc.) rappelle aux bénéficiaires qu’iels n’ont pas la capacité de choisir ce qui se trouve dans leurs assiettes. En effet, les personnes qui ont recours à l’aide alimentaire ne choisissent pas leur nourriture (d’autres personnes décident par ailleurs pour elles de ce qui est “bon” ou “mauvais”)  Être démuni de choix dans une société où l’abondance d’options règne, c’est empêcher un accès à cette société

Quels sont les enjeux de ce droit à l’alimentation ?

“Le plus gros travail sera celui du changement d’esprit” explique Mr. Apothéloz. Si ce droit est voté le 18 juin, il faudra par la suite concrétiser une loi d’application qui mette d’accord les deux hémisphères du grand conseil. Magali Ramel, confiante que ce type de réforme est nécessaire, parle d’un changement de paradigme: cela permettra de prendre en compte les besoins et les attentes de l’individu, et valoriser la dignité de chacun·e. Avec un droit à l’alimentation, on co-construit un système alimentaire durable et accessible à tou·te·s. 

Plusieurs modèles ou projets pilotes ont déjà vu le jour en France: la caisse commune à Montpellier, le projet passerelle d’Action Contre la Faim à Montreuil ou encore le Conseil National de l’Alimentation (instance consultative citoyenne et associative rattachée à plusieurs ministères qui vise à rendre des avis pour orienter les politiques publiques sur l’alimentation). Ce sont des modèles intéressants à envisager si le canton de Genève voit le droit à l’alimentation s’inscrire dans sa constitution.