Acheter local, c’est acheter logique ?
L’alimentation est un sujet tellement vaste, même pour un petit canton comme Genève, que ma-terre a décidé de s’intéresser à trois de ses volets – social, agriculture, santé – qui seront traités en…
22 juin, 2022
L’alimentation est un sujet tellement vaste, même pour un petit canton comme Genève, que ma-terre a décidé de s’intéresser à trois de ses volets – social, agriculture, santé – qui seront traités en trois parties. Pour le volet social, nous nous sommes entretenus avec Margaux Mégevand, chargée de projet innovation à la Fondation Partage et membre du comité de ma-terre.
Margaux Mégevand : Il ne faut pas se voiler la face, la précarité existe, même dans une ville riche comme Genève. On peut même dire qu’elle persiste et signe. Et le COVID n’a rien arrangé : avant la pandémie, 9 000 personnes environ bénéficiaient chaque mois de l’aide de la Fondation Partage. Aujourd’hui, elles sont entre 12 000 et 13 000. Et les chiffres ne diminuent pas. Il suffit que ces personnes ne soient pas déclarées, qu’elles aient été licenciées ou n’aient pas de sécurité sociale pour que l’insécurité alimentaire les frappe de plein fouet.
M.M. : Le principe de la Fondation est de collecter des invendus auprès des supermarchés et de les redistribuer à des associations, par exemple Les Colis du Cœur, qui les distribuent à leur tour directement aux personnes en situation de précarité. Les grandes surfaces ont beaucoup amélioré leur processus et des applis arrivent sur le marché pour limiter le gaspillage, ce qui a pour effet de diminuer les invendus et donc nos collectes. D’un côté, c’est une très bonne chose mais cela nous pousse à évoluer. Aussi, nous participons à des actions telles que les Samedis du partage, qui ont lieu deux fois par an, et qui nous ont permis de récolter, en novembre 2021, 213 tonnes de denrées alimentaires sèches. Vous l’aurez compris, la collecte ne suffit donc plus.
M.M. : Avec l’augmentation du nombre de bénéficiaires, nous sommes obligés, en plus de la collecte, d’acheter les denrées auxquelles nous ajoutons des aliments frais, qui proviennent de l’Union Maraîchère de Genève (UMG), pour composer des sacs d’aide d’urgence, au nombre de 5 000 à ce jour. Nous avons commencé en juin 2020, la question est de savoir si cela va s’arrêter un jour.
M.M. : Grâce à la générosité de donateurs privés et aussi avec l’aide du Canton, qui a fait une donation unique en juin 2020, et d’acteurs comme la Loterie romande, dont les bénéfices sont reversés à hauteur de 85% à des institutions, associations ou fondations actives notamment dans l’action sociale. Cela dit, l’aide d’urgence ne devrait pas s’inscrire dans la durée.
M.M. : Les mardis, mercredis et jeudis de chaque semaine. Nous approvisionnons Les Colis du Coeur à trois endroits : rue Blavignac, à Carouge, rue du Môle, aux Pâquis, et chemin du Coin-de-Terre, à Vernier, ainsi que plusieurs autres structures actives dans l’aide alimentaire. Nous travaillons avec une cinquantaine d’associations que nous rencontrons chaque année pour nous assurer que leur action est en ligne avec la nôtre. Dès qu’elles sont agréées, elles ont accès à notre plateforme et peuvent commander.
M.M. : Une collaboration active s’est mise en place entre les partenaires sociaux et le Canton qui participe en outre à l’effort en allouant des sommes non négligeables aux associations afin qu’elles puissent venir en aide et apporter des solutions.
M.M. : La crise sanitaire a provoqué un réveil des consciences parmi la population. Pendant un temps, l’approvisionnement a été mis à mal, certains producteurs étant par exemple dans l’incapacité d’emballer leur marchandise, faute de plastique, et les transporteurs ayant des difficultés du fait de l’augmentation du prix de l’essence. D’une part, cela a créé un élan de solidarité aussi inattendu que gigantesque, nous avons levé plus de fonds que d’habitude, mais aujourd’hui les besoins restent élevés, du fait du nombre de bénéficiaires toujours haut, de la situation d’accueil de réfugiés et de la hausse du prix des denrées. D’autre part, la crise a aussi poussé la population à revenir à des circuits de distribution beaucoup plus restreints pour s’approcher de l’autosuffisance. C’est le côté positif de la crise et ma-terre, parmi d’autres associations, tombe à point nommé pour tenter de répondre à la question : comment repenser le système ?
M.M. : Nous sommes actuellement en discussion pour élaborer un « pacte alimentaire » qui permettrait aux plus démunis d’accéder à une « alimentation minimum », un peu comme le salaire minimum, que le peuple a accepté par votation en novembre 2020. L’idée est encore embryonnaire et doit être développée et concrétisée. En attendant, nous avons toujours les invendus, surtout auprès des supermarchés. Nous essayons de mettre à disposition, dans la mesure du possible, des produits de qualité, donc pas les sodas par exemple. Pour les produits frais, les œufs et les produits laitiers, nous sommes obligés de les acheter. Par contre, la loi nous interdit, pour des questions d’hygiène, de récupérer des aliments cuisinés, auprès des restaurants, et des produits dont la date de péremption est échue.
M.M. : Absolument. Par exemple, il faut savoir que 20 tonnes de pain sont jetées chaque année à Genève par les grandes enseignes de la distribution. Mais cela peut concerner aussi des fruits que nous n’avons pas le temps de redistribuer parce qu’ils ne « tiennent pas longtemps ». Nous avons donc mis en place des méthodes de valorisation des produits, notamment la surgélation. Nous avons en outre élaboré une recette de cookies à base de pain séché et transformé en chapelure, qui remplace une partie de la farine dans la confection des cookies que l’on distribue ensuite aux associations. Nous créons ainsi une sorte d’économie circulaire. Pareil pour le café vert qu’on moud et qu’on distribue aux associations gratuitement. Nous sommes en train de mettre en place un projet de déshydratation de pommes avec des pommes qui ne sont pas vendables car elles sont « hors calibre ». Tous les légumes un peu « limites », nous en faisons de la soupe que nous distribuons dans les abris de protection civile en hiver. Nous transformons les légumes qui ne sont pas très beaux en bâtonnets et les mettons sous vide. Tous ces processus de valorisation permettent de limiter le gaspillage. Il faut savoir que les ménages en sont responsables à hauteur de 30% (ndr : les ménages suisses produisent un million de tonnes de déchets alimentaires par an).
M.M. : L’avantage de ma-terre est de réunir des compétences et des expériences très diverses pour sensibiliser, informer et développer des synergies. À plusieurs, on a une plus grande force de frappe. Mon rôle au sein du comité est de sensibiliser au gaspillage alimentaire et d’apporter une dimension sociale à la réflexion sur l’accès à une alimentation de qualité.
L’article 12 fixe le droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse. En septembre 2017, les Suisses ont accepté le contre-projet du Conseil fédéral sur la sécurité alimentaire. Or il y a une grande différence entre sécurité alimentaire et droit à l’alimentation. Ajouté à la Constitution, l’article 104a prévoit que la Confédération doit créer les conditions pour assurer la sécurité alimentaire, c’est-à-dire l’approvisionnement de la population suisse, pas le droit à l’alimentation pour tout un chacun. À Genève, si le oui l’a emporté par 102’161 voix contre 13’495, l’accès à une alimentation saine et durable pour les personnes en situation de précarité n’est toujours pas garanti.
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