Que signifie manger sain aujourd’hui ?

22 juin, 2022

Manger sain, c’est manger équilibré et avec plaisir. Voilà pour la définition. Mais encore ? Facile à dire, nous direz-vous, quand on passe ses journées à courir comme des poulets sans tête, et que les obligations quotidiennes nous font oublier l’essentiel. Pédiatre spécialiste en nutrition, médecine du sport et santé publique, présidente du programme de soins Contrepoids des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) pour la prévention et le traitement de l’obésité de l’enfant, Nathalie Farpour-Lambert recentre le débat et rappelle les fondamentaux.

Quel constat peut-on faire aujourd’hui sur l’alimentation des Genevois ?

Dre Nathalie Farpour-Lambert : Les données actuelles nous disent qu’en général les adultes et les adolescents ne mangent ni assez de fruits ni assez de légumes, qu’ils consomment du sucre ajouté à raison de 120 g par jour (l’équivalent de 20 carrés de sucre), alors que la quantité recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) devrait être de 25 g par jour (6 cuillières à café), ce qui accroît les risques de surpoids, de diabète, de caries dentaires et de maladies cardiovasculaires.

Mais le sucre ajouté est présent dans 80% des aliments (ultra)transformés…

Dre N. F.-L. : Oui, on le constate sur les étiquettes des produits, mais les industriels fractionnent ces sucres en plusieurs types de manière à ce que cela soit moins évident, ce qui conduit à un déséquilibre alimentaire, avec des excès de sucre, de sel et de graisses saturées. D’où l’importance de revenir à une alimentation moins « industrielle », d’encourager la consommation de fruits et légumes, de volaille, de poisson, d’œufs et de produits laitiers. Nous avons d’excellents produits locaux.

L’excès de viande rouge fait aussi partie de l’équation ?

Dre N. F.-L. : On recommande d’en réduire la consommation à une fois par semaine car il a été établi un lien entre l’excès de viande rouge et certains cancers, notamment du colon. Aussi par respectz pour l’environnement. Mais il s’agit de trouver un juste équilibre entre la santé et l’environnement. Il ne faut tomber dans l’alimentation végane qui n’est pas recommandée pour les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées car elle conduit à des déficits nutritionnels.

La situation a-t-elle évolué ces 50 dernières années ?

Dre N. F.-L. : C’est clair. On est passé en quelques décennies d’une alimentation composée de produits bruts cuisinés à la maison à une alimentation ultra-transformée de moindre qualité. C’est ce que l’on appelle la transition nutritionnelle. Ainsi, le panier de commissions coûte moins cher qu’il y a cinquante ans, mais la qualité s’est amoindrie. Il faudrait revenir à la qualité d’antan.

Manger sain, question de moyens ?

Dre N. F.-L. : Il y a 50 ans, l’alimentation pesait lourd dans le budget familial. Aujourd’hui, on a beaucoup plus de quantité pour beaucoup moins cher, mais on a perdu en qualité nutritionnelle. Si on réduisait la quantité de viande rouge et la fréquence d’achat, et qu’on augmentait la proportion de légumes, le budget alimentaire serait réduit d’autant.

Le juste équilibre, c’est un peu de tout et de tout un peu ?

Dre N. F.-L. : Exactement, la juste quantité et la juste qualité, même si les gens qui mangent absolument de tout sont assez rares. On dit souvent qu’il faut manger toutes les couleurs pendant la semaine, s’assurer d’avoir suffisamment de produits laitiers, prendre trois repas principaux par jour. Il faut se rappeler que manger est un moment convivial, qui ne se pratique pas devant des écrans.

Des exemples concrets d’équilibre ?

Dre N. F.-L. : Il faut travailler sur le principe de « l’assiette équilibrée ». Pour les enfants, elle doit se composer d’un tiers de légumes, d’un peu plus d’un quart de féculents et d’un quart maximum de protéines – poisson, poulet, œufs, fromage. Pour les adultes, une moitié de légumes, un quart de féculents et un quart de protéines, comme pour les enfants.

Que dites-vous à celles et ceux qui n’ont pas faim le matin ?

Dre N. F.-L. : Je les encourage à prendre au moins un verre d’eau et une petite collation vers 10h – dans l’idéal un féculent, un fruit ou un produit laitier, et non pas, comme c’est souvent le cas, un croissant ou un pain au chocolat qui contiennent des graisses de mauvaise qualité.

Que signifie « manger équilibré », selon l’âge ?

Dre N. F.-L. : De la naissance à l’âge de 2 ans s’opère une transition du lait maternel à des aliments solides. Il est important que les enfants découvrent toutes sortes de textures, de couleurs et de goûts. Aujourd’hui, les écoles genevoises organisent des ateliers pour favoriser la diversification alimentaire. Les restaurants scolaires genevois fournissent des repas équilibrés et essaient d’encourager la consommation de fruits et de légumes. Il faut aussi penser à cuisiner avec les enfants, faire les courses avec eux, en veillant à éviter les rayons bonbons, biscuits et céréales de petit déjeuner, mais aussi leur apprendre à choisir les fruits, à les avoir dans la main. Il y a peu de changements entre l’enfance et l’adolescence, à part que les adolescents deviennent plus autonomes et s’achètent leur alimentation s’ils en ont les moyens. À l’âge adulte, notamment chez les femmes enceintes, il convient de faire la promotion d’une alimentation équilibrée en s’assurant qu’elles ont suffisamment d’apports en fruits, en fibres, en fer et en calcium. Chez les personnes âgées, l’attention est portée sur la dénutrition et la décalcification.

Une alimentation équilibrée peut-elle à elle seule prévenir des pathologies ?

Dre N. F.-L. : Bien sûr, il est aujourd’hui prouvé scientifiquement qu’une alimentation déséquilibrée favorise les maladies cardiovasculaires, certains cancers et du surpoids, voire d’obésité, qui aboutit dans 80% à des diabètes. Les produits laitiers sont importants pour maintenir le capital calcium et prévenir l’ostéoporose, qui touche surtout des femmes, en particulier après la ménopause. D’où l’importance d’avoir de bons apports en calcium pendant la croissance, aussi pendant la grossesse. Les personnes de plus de 65 ans souffrent parfois de dénutrition avec perte de masse musculaire et décalcification. Pour elles, on considère un léger surpoids comme une protection, avec un indice de masse corporelle entre 25 et 30, grâce à un meilleur apport en protéines et en féculents.

Comment s’initier au manger (plus) sain ?

Dre N. F.-L. : Il « suffit » de s’informer. Nous vivons dans un canton très actif dans la promotion d’une alimentation saine et durable. Ensuite, nous avons un accès rapide et direct à des recettes, ne serait-ce qu’avec nos téléphones, par exemple au moment de faire nos courses. L’équilibre vient surtout des quantités : une assiette par repas devrait suffire à tout le monde, chez les enfants de moins de 10 ans, c’est même une assiette à dessert. Il ne faut pas laisser les plats sur la table qui incitent à se resservir. Revenons à du bon sens, c’est-à-dire à la cuisine de nos grands-mères, mangeons moins et moins vite, réécoutons notre sentiment de satiété et gardons le plaisir.

Le lien entre alimentation et santé ?

Dre N. F.-L. : Une alimentation équilibrée est un facteur clé pour une vie saine. Il faut être conscient de ce que l’on mange et la manière dont on mange. Un cinquième de notre capital santé est déterminé par notre alimentation.

D’autres articles qui pourraient vous intéresser